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Peinture acrylique originale Evelyne Cavallero |
14 La Terre des fées
Personne ne savait pourquoi cela était
si important pour Mira de poser le pied sur Noria, la planète des fées et des
elfes. S’ils avaient su… qu’aurait bien pu dire leur cœur !
Ce monde, ils le voyaient à présent. La
guerre avait eu lieu autour, mais pour détruire Noria, il avait suffi d’un seul
tir du cristal de destruction de N' Nak.
Ils avaient pu poser le pied sur Noria,
mais combien de temps cela durerait-il ? Avant que le cœur de cette
planète n’explose, combien d’heures s’écouleraient ?
Voilà des questions qui restaient sans réponse,
car personne ne le savait au juste. Mais tous étaient d’accord sur le fait que
le temps était compté.
Les elfes et les fées qui habitaient ce
royaume n’avaient rien à voir avec l’image que s’en feraient bien plus tard les
civilisations qui se succéderaient sur Gaya. C’étaient des êtres magnifiques,
prodigieux, longilignes et fluides comme le vent. D'ailleurs, les éléments
étaient leurs alliés, ainsi que la puissance créatrice de l’Esprit des Grands
Univers. Ils savaient créer l’harmonie autour d’eux. Ils déversaient plénitude,
générosité, sérénité au travers de cornes d’abondance, partout où ils
oeuvraient. Ils savaient enfin, créer une nature parfaite, équilibrée et
adaptée au monde qui devait l’accueillir. On pouvait encore voir des vallées
ourlées de fleurs émeraude, scintillantes aux feux du couchant. Les ruisseaux
chantaient toujours leurs mélodies, parfumés des doux sentiments que leur
insufflaient les gardiens des eaux profondes. Mais derrière cette vision
idyllique où se mélangeait la silhouette majestueuse de quelques arbres
pourpres, un nuage noir venait d’apparaître. Un vaisseau de métal, sans vie,
parce que les êtres qui le manoeuvraient s’étaient séparés du cœur de toute la
création.
Ce qui frappait le plus, c’était ce silence
qui tombait parfois sur les vertes prairies. Par moment, le chant des oiseaux
et celui des éléments semblaient ne plus pouvoir être audibles par des oreilles
d’humains. Ce monde s’effaçait peu à peu, comme si en fin de compte, il se
retranchait dans une dimension inaccessible au commun des mortels. Il en était
bien ainsi. Il avait été décidé par les hautes instances que Noria devait
ascensionner, c'est-à-dire commencer sa transmutation vibratoire pour entrer
dans un espace-temps au-delà du monde visible depuis cet univers. Pourtant, une portion de cette planète ne
pourrait pas échapper au non-retour, à la destruction ; son corps
physique, sa représentation dense. Car une partie de ce qui vivait ici avait
été contaminée par la colère, la peur et la rancœur… Cette baisse de fréquence
empêcherait les êtres pris dans cet engrenage, ainsi que les lieux où ils
vivaient, de passer dans l’autre vibration.
Le petit groupe avait appris cela en
arrivant. Et s’ils se demandaient encore pourquoi N' Nak n’avait pas encore
envoyé une autre semonce, la réponse leur vint de l’est. Lorsqu’une lueur sans
précédent illumina le ciel à leur gauche et se refléta dans chaque perle d’eau
du plus petit brin d’herbe, ils surent que quelque chose d’incroyable était en train
de se passer.
Puis la lueur devint une sphère immense
qui rendait ridiculement petit le vaisseau de l’armée « de l’ordre
nouveau ». Chacun retenait son souffle, même le vent en fit de la sorte.
— Mais qu’est-ce que c’est, demanda
Hélie ? Je n’ai jamais rien vu de tel. Cette lueur, cette douceur que je
sens au fond de moi ! La sentez-vous aussi ?
Personne ne répondit à l’Affrasien. Il
n’eut qu’à regarder leur visage pour comprendre que c’était le cas.
Cylanoé se rapprochant de Mira lui prit
les mains. Ils se rapprochèrent l’un de l’autre, les larmes aux yeux. C’était
de la joie, de l’amour. Celui qui dépassait la notion humaine restrictive qu’on
accordait à ce mot par habitude.
— C’est un Vaisseau de Gloire.
C’est celui du Seigneur Annanda, reprit Mira émue.
— Très chère, vos mains tremblent et vos
yeux dont j’aimais voir le courroux à certains moments, se tournent vers des
horizons où je ne puis vous rejoindre. Je le sens au fond de mon coeur.
Personne, à part Mira, ne comprit ce
qu’il voulait dire. Les autres ne voyaient que le regard tendre et émouvant de
Cylanoé posé sur la vieille dame.
— Ce Seigneur a fait disparaître l’instrument
de guerre de N' Nak. Il a fait disparaître le « foudroyeur ». Il
est intervenu pour permettre l’ascension de cette planète. C’est ce que je
reçois dans mon esprit en ce moment, fit Mira. Il nous est demandé d’aider à
l’évacuation de toutes les formes de vies, de tous les êtres qui ont choisi de
migrer vers d’autres mondes afin que pour cet univers, toutes les créations
élaborées ici ne soient pas définitivement perdues. Il nous faut trouver les
responsables, les organisateurs de cette fuite et en retour notre vaisseau
bénéficiera d’une aide considérable pour atteindre le but de notre mission.
— Mais qui est-il, demanda Kann ?
— Un grand Maître. Cylanoé se lissa la
barbe selon son habitude. Il avait lâché les mains de Mira et souriait d’un air
entendu. Oui, un grand être en réalité. Son vaisseau est fait de pure
conscience. Il se déplace où il veut, quand il veut, mu par son souffle
créateur, juste son intention. Sa force est celle de ceux qui marchent main
dans la main avec l’Esprit des Grands Univers. Tout comme lui, il n’a pas de
limite.
— Alors pourquoi n’est-il pas intervenu
plus tôt, reprit Kann ?
Ce fut Hélie qui lui
répondit.
— À cause de la Loi du libre arbitre.
Nous sommes régis dans cette partie du cosmos, par cette loi. Personne n’a le
droit d’intervenir dans nos affaires. C’est ce que nous voulions expérimenter.
Un monde sans lois divines, seulement celle de l’humain. Pourtant, il est
intervenu !
— Il n’est pas permis de mettre en
danger toutes les planètes et les autres univers. L’utilisation de telles armes
inclut de tels risques. C’est pour cela qu’il est intervenu. À présent, fit
Louna qui retrouvait ses esprits, faisons ce que l’on nous a demandé.
Venez-vous, Hélie ?
L’Affrasien ne pouvait détacher son
regard de ce soleil blanc. Sa fascination était telle qu’il faillit ne pas
entendre les autres partir.
— Un jour, moi aussi, j’aurai mon
vaisseau de gloire. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais je deviendrai moi
aussi un vaisseau de pure conscience. J’en fais la promesse.
Kann et Hélie n’avaient jamais rencontré
de vrais elfes. Ils ne s’attendaient pas à voir ces êtres grands et fluides,
œuvrer autour d’eux, avec autant de précision, de bonté et de silence. Personne
ne parlait, à part ceux qui étaient désignés comme responsables de l’évacuation.
Ceux-là étaient de grands Maîtres, un peu comme Mira et Cylanoé. Ils portaient
de longues robes blanches, parfois rosées. Leur chevelure était abondante et
retenue sur la nuque par ce qui semblait être des rubans de fils d’or. Ils
s’adressaient à eux avec beaucoup de sincérité et de gentillesse, mais d’une
voix sûre et volontaire. Tous les autres communiquaient par télépathie. C’était
étrange, mais les deux compagnons ne furent que peu surpris dans ce monde
bizarre, de percevoir eux aussi, les voix à l’intérieur de leur tête.
Tout ce qui pouvait être transporté vers
le vaisseau de gloire d’Annanda le fut en un rien de temps et dans un ordre
irréprochable. Ce qui impressionnait le plus, c’était encore et toujours ce
silence qui accompagnait chaque mouvement, chaque déplacement. Cela donnait
l’impression d’un monde ouaté, aux confins du réel, non pas sur le point de
disparaître, mais sur celui de se scinder en deux parties : le visible et
l’invisible. Par moments, quelques cavaliers filiformes et leur monture
disparaissaient comme ils étaient apparus. Ils entraient dans une sorte de
brume, où ils s’effaçaient. Dans l’instant, vous pouviez vous extasier sur la
robe pourpre et dorée d’une fleur, d’un arbre et la seconde suivante, les voir
entrer eux aussi dans la brume et disparaître. Ils changeaient de dimension et
n’étaient plus visibles aux yeux de ce monde-ci. Les deux militaires n’avaient
jamais vu une chose pareille. Ils ne savaient pas s’ils devaient en être
effrayés ou émerveillés.
Ce
monde n’avait rien à voir avec les différentes Terres parcourues jusqu’à ce
jour. La plupart étaient des îlots de solitude, ou au contraire des mondes
hyperactifs. Ils pouvaient aussi être d’aspect aride comme Affrasie et tant
d’autres. Le cœur de nombreuses planètes était foisonnant de végétation et de
vie, mais cela n’égalait pas ce que Kann et Hélie pouvaient voir ici. L’eau
vive qui courait dans les ruisseaux, sans qu’aucune force puisse l’arrêter,
devait son nom au fait qu’elle était vivante et régénératrice. Son esprit était
palpable bien au-delà des mots à travers l’air, le chant des oiseaux et la
beauté des cieux. Aucune créature de ce monde ne semblait être atteinte de
difformités, de laideur. Un arbre même tordu créait une image qui parlait au cœur
plutôt qu’à l’intellect. Kann regardait toutes ces silhouettes, ces elfes, ces
sages, ces dames fées… Ils semblaient absorbés par leurs tâches, tout en étant
attirés vers un lieu où les équipiers de l’Antarion n’avaient pas accès. Leur
âme n’était déjà plus là.
Cela faisait un bon moment que Kann
travaillait avec trois elfes au sauvetage d’une pouponnière de petits arbres de
différentes races. Ces petites pousses deviendraient un jour, sur d’autres
Terres, des arbres forts et puissants qui seraient les gardiens de leur race et
de leur vibration particulière, où qu’ils soient. Ils seraient des arbres
maîtres et soutiendraient la création avec chaque qualité dont le Créateur,
l’Esprit des Univers, les avait dotés. Ils seraient des êtres magnifiques de
prestance et de rigueur. Mais, les elfes qui leur avaient voué leur vie se
sentaient inquiets. Ils ne disaient mot, bien sûr, mais Kann par moments
pouvait percevoir leurs échanges télépathiques. Leur monde s’en allait.
Il fallait sauver toute vie qui
demandait à poursuivre l’expérience dans cet univers, toutes créatures,
qu’elles soient animales, végétales, et minérales qui souhaitaient encore
apprendre du chaos qui se préparait. Pourtant, se demandaient-ils :
« Comment seront perçus ces êtres magnifiques que nous avons aidés à venir
prendre forme sur ce plan ? Qui dans cet univers où l’amour perdait sa
place, pourrait reconnaître la vie, la force, et l’âme vibrante de ces arbres,
de ce peuple végétal ? »
Kann n’avait jamais pensé à regarder un
tronc avec des branches et des feuilles comme faisant partie du monde des
vivants. Il en souriait malgré lui. Pensant que son cerveau était en train de
se ramollir. « Je suis dans un rêve et je vais me réveiller, se disait-il ! »
Il hochait de la tête tout en aidant les autres à déplacer la pouponnière vers
le vaisseau d’Annanda. Là, d’autres êtres avec des sortes de commandes et des
treuils sous forme de rayons de lumière élevaient le tout, vers les soutes, les
entrailles du Vaisseau de Gloire.
— Oui, vous avez raison, jeune Kann.
Vous vivez un rêve. De ce côté de l’univers, il semble que ce soit difficile de
faire autrement. Tout n’est qu’illusion. Nous faisons tous partie d’un tout. Il
n’y a que la conscience habitant différents corps. Des corps individuels, des
corps collectifs, des corps qui se déplacent, d’autres qui restent en place.
Tous ne sont pas faits de la même matière et cela semble devenir
déroutant pour certains. C’est ainsi ! Mais la plupart des hommes
l’ont déjà oublié sur les autres planètes de cette galaxie et vous aussi
apparemment. Oui, autrefois…
Kann en était médusé, le seul être qui
se trouvait derrière lui était un saule aux branches imposantes qui retombaient
jusqu’au sol. Il était d’un vert un peu pâle et avait une certaine présence en
lui. Il en imposait par sa taille mémorable. Une terreur envahit Kann. Son rêve
devenait trop absurde.
— Absurde ? Souligna Vigar, le
Saule Parleur.
— Il parle dans ma tête et entend
tout ce que je pense ! Cela devient dramatique, pensa tout haut Kann
qui n’avait plus aucune raison de garder cachées ses pensées. Hé ! Dites
donc, vous introduire dans mon esprit… ce n’est pas interdit par vos
lois ?
Vigar sembla réfléchir un peu, surpris
par les limites de son interlocuteur.
— Jeune homme, ici, chacun utilise le
monde intérieur de ses pensées pour communiquer. Si vous ne voulez pas partager
vos réflexions avec les autres, évitez d’émettre des mots dans votre esprit.
— Ouais ! Je ne suis pas sûr que
cela me satisfasse, mais… je m’en contenterai. Heu, je veux dire de votre
explication, parce que, quant à arrêter d’avoir des pensées, je crois que ce
n’est pas encore pour demain. Je suis désolé, mais je n’ai pas l’habitude de
parler… avec des arbres. Je vais donc vous laisser user de votre esprit, quant
à moi, je vais utiliser la bonne vieille parole avant d’oublier comment
fonctionnent mes lèvres.
— J’ai bien peur que notre forme de
communication se perde bientôt et pour longtemps, souffla Vigar. Oh, regardez,
je crois que votre intervention s’impose…
Un peu plus loin, les elfes qui
faisaient équipe avec Kann étaient déjà en train d’amener une autre fournée de
bébés arbrisseaux. Ce qui avait alerté le vieil arbre n’était autre que la
vision de la légère brume autour des trois porteurs.
— Ils vont passer de l’autre côté,
assura Vigar.
En un rien de temps, cela devint
effectif.
— Bon sang, ils auraient pu attendre
tout de même, commenta Kann qui ramenait seul la quatorzième pouponnière vers
l’embarcadère.
— Oh ! Quand c’est le moment, c’est
le moment… personne n’y peut rien. La force seule attire de l’autre côté. Il
suffit d’être prêt et l’on rejoint l’autre rive. C’est une affaire de cœur. Au
fait, mon nom est Vigar.
— Enchanté ! Je crois qu’il est
inutile que je me présente et je me demande bien pourquoi ?
— Tout le monde ici, connaît Dame Mira.
Nous attendions tous sa venue.
— Alors là, je ne comprends plus.
— Vraiment ? Alors, reprenez votre
carnet de route, je suis sûr que cette destination en faisait partie.
— Peut-être, mais à force d’essayer
d’éviter les endroits où l’on ne voulait pas aller et d’y aller quand même,
j’ai oublié où l’on devait vraiment aller.
L’arbre se redressa de toute sa taille.
Du moins, ce fut là l’impression de Kann.
— Laissez tomber… moi-même, je ne m’y
retrouve pas. Alors vous aussi, vous allez disparaître ?
— Non, jeune ami, cela n’est pas mon
destin. Je vais rester ici, avec quelques-uns de mes frères issus de toutes les
races qui ont habité cette planète. Je sens de la compassion dans votre regard.
Cela me chauffe le cœur et je vous remercie de vos sentiments, mais n’ayez
aucune tristesse dans l’âme, car c’est notre choix. Nous allons accompagner le
corps physique de cette planète vers sa fin, comme on accompagne un mourant, un
vieux compagnon de route. Vous ne laisseriez pas un être cher dans un pareil
moment n’est-ce pas ?
— Oh ! Je ne suis pas aussi compatissant
que ça… Mais qu’allez-vous devenir ? Et votre ascension, comment la
ferez-vous ?
— Eh bien, ce sera pour plus tard.
Mais le temps n’a pas de mesure, jeune ami. « Plus tard » peut-être
très court. Il y a plusieurs façons de faire son ascension. La mort en est une
forme en quelque sorte…
— Je ne comprends pas grand-chose à tout
cela, admit tristement Kann, mes compétences en ce domaine sont limitées… très
limitées.
— Mais vous avez bon cœur, bien que vous
l’ayez oublié et d’excellents professeurs ! Il est très important de
savoir tirer parti des leçons que des amis qui vous sont prêtés mettent sur
votre route.
— Prêtés ! S’exclama le jeune
pilote. Voilà un mot qui ne me réjouit guère.
— Rien dans tous les univers ne nous est
acquis pour toujours. Nous devons tous faire bon usage de la vie et de
l’énergie que l’Esprit des Grands Univers met à notre disposition. Cela fait
partie de nos responsabilités. Nous avons le devoir de prendre soin d’alimenter
nos vies, nos créations, à la source de notre cœur. Nous pouvons vérifier à
travers lui que ce que nous projetons de faire est un bien pour tous. Mais il
est vrai que les hommes, quand ils oublient qu’ils ont un cœur qui les relie à
quelque chose de bien plus vaste qu’eux-mêmes, oublient aussi cela. Ils
oublieront même un jour que les animaux parlent, que les arbres parlent et sont
doués de pensées, de sentiments et d’un cœur. Oh, je ne blâme pas les hommes.
Car les peuples dont je suis issu, ne trouvant plus d’oreilles attentives à
leurs murmures, se méfieront des hommes et s’éloigneront d’eux, dans un silence
oppressant. Il en ira de même pour les autres peuples qu’ils jugeront
inférieurs, ou négligeables. Pourtant, ceux-là mêmes ne cesseront de les servir
dans le dévouement et le silence et à distance, en maintenant leurs vibrations,
leurs qualités à portée des cœurs des hommes d’en bas. Ceci dans l’espoir qu’un
jour, les humains se souviennent de leurs vieux amis d’autrefois, et qu’ils
puissent demander à réapprendre toutes ces vertus qui sont les leurs de toute
éternité. L’alliance ancienne sera ressuscitée et renouée. Voyez-vous chacune
de ces fleurs, de ces pierres cristallines, chacun de ces arbres représente une
vertu particulière, une qualité divine. Divine, parce qu’issue du cœur de
l’Esprit des Grands Univers.
La voix d’Hélie se fit entendre au loin.
Il accourait à toute vitesse. C’est haletant et poussiéreux qu’il finit par
rejoindre Kann et Vigar.
Kann, sûr de son effet, présenta le
saule à l’Affrasien qui se contenta d’un « salut Vigar », sans autre
état d’âme. Kann en resta frustré. Il était donc le seul que cela étonnait
encore, un arbre qui parle par télépathie ! Certes, il avait bien vu
Cylanoé murmurer des choses à une forêt… mais bon, après tout, venant d’un sage
magicien…
— Il faut que tu viennes me donner un
coup de main. Mira et Cylanoé sont de l’autre côté de la rive, et je ne sais
pas où est passée Louna. Il y a un type là-bas, vers le versant de cette
colline… c’est un fou. Il a renfermé des enfants dans une sorte de bâtiment et
ne veut pas les laisser sortir. Il refuse de discuter avec moi. Je ne sais pas
comment m’y prendre avec lui.
— Tu n’as qu’à employer la manière
forte !
— J’y ai pensé, mais on est sur Noria !
— Alors, allons trouver Louna, elle sera
plus diplomate que nous. Question parole… elle saura trouver les bonnes.
— Allons, allez-y, mes enfants.
Dépêchez-vous, le temps presse. Je vais m’occuper de trouver de l’aide pour les
derniers plants à sauver, ne vous en faites pas. Allez vers ces enfants. Louna
n’est pas loin. Je sens sa présence au bord de la rivière pourpre. Elle doit y
faire des prélèvements.
— Des prélèvements ?
— Cette eau ne doit pas se perdre.
Ajoutée à l’eau d’une autre rivière, d’un fleuve, d’une mer, elle peut leur
transmettre son énergie et transformer leurs molécules. Ce qu’elle peut
transmettre est très important
— Adieu Vigar… Kann sourit à son nouvel
ami avant de tourner le dos et de partir. Et quand il fut assez loin Vigar lui
répondit :
— Au revoir, fils de Ya.
Ils
trouvèrent Louna, là où Vigar le leur avait dit. Elle était agenouillée près de
la rivière Pourpre. Une femme elfe l’assistait. Elle avait des yeux allongés en
forme d’amande, d’un bleu azuré. Elle répondait au nom de Kurian. Les deux
hommes de l’Antarion n’avaient encore jamais vu d’elfe aussi grand que
celle-ci. Elle dépassait Louna d’au moins une dizaine de mains.
— Que se passe-t-il ? demanda,
inquiète, la femme bleue.
Juste à ce moment-là, un bruit sourd
assorti d’un tremblement se fit entendre. Tous avaient senti sous leurs pieds
ce grondement inquiétant.
Louna se tourna vers Kurian.
— C’est notre Terre Mère qui nous
avertit que son cœur va bientôt lâcher en ce qui concerne cette dimension de
ses multiples corps. Elle nous prie de nous hâter. La troisième fois marquera
la fin du délai, fit celle-ci.
— Louna, fit Hélie. On a besoin de vous
pour déloger un homme qui a enfermé des enfants dans une enceinte et ne veut
pas qu’on les évacue. Nous avons besoin de votre voix et de votre diplomatie.
— Un homme ? Et avec des
enfants ! Mais cela est impossible, il n’y a pas d’enfants sur Noria. À
moins que…
— Oui, vous avez deviné Louna, ce sont
ceux qui étaient au temple d’Horus. Enfin une partie de ceux qui étaient au
temple. Je vais finir les prélèvements et les amènerai au vaisseau mère qui
doit rejoindre la planète Maldeck. Ne vous faites aucun souci, faites ce que
vous avez à faire, poursuivit Kurian, la femme elfe.
— Merci
Kurian. Allons, montrez-moi le chemin et faisons vites.
Ils ne mirent guère de temps à rejoindre
la bâtisse qu’Hélie avait quittée un peu plus tôt.
C’était une sorte de temple voué à
l’abondance, sûrement le seul endroit où des enfants ici pouvaient trouver
quelque chose qui ressemblât à ce qu’ils avaient connu. Les murs cependant
n’étaient pas faits de pierres, mais ressemblaient fort à une sorte de vitrage
opaque.
Cette nouvelle matière était
inconnu des deux pilotes.
— N’avancez plus, infortunés humains,
leur cria un homme de derrière la porte. Vous… l’homme noir, je vous ai déjà
dit que je ne partirai pas d’ici. C’est la fin des temps… laissez-nous retourner
à la poussière en paix.
— Alors, d’une part c’est la fin d’un monde
et en plus ceux qui sont avec vous ont peut-être leur mot à dire, lui répondit
Hélie.
— Taisez-vous, fils de chiens. Vous ne
savez pas de quoi vous parlez. Ce qui a été souillé doit disparaître du monde
des vivants. Ces enfants sont impurs et… mais que faites-vous ?
Louna n’avait pas le temps d’attendre.
Elle avait décidé d’agir. Hélie et Kann la regardaient médusés.
Par la force de son esprit vivifié par
les énergies de cette planète, elle était en train de démonter un des murs de
lumière de l’édifice. Au fur et à mesure, en partant du haut, des pans entiers
de cette matière inconnue sur d’autres mondes disparaissaient sous forme de
particules qui rejoignaient les champs d’énergies non polarisés. Un homme d’un
certain âge sortit précipitamment menaçant Louna de toutes les foudres. Il
hurlait de colère, plein de véhémences.
— Je me demande quel genre de discours
pourrait calmer celui-là, murmura Kann à l’intention d’Hélie. Quand l’homme fut
devant Louna, celle-ci poussa un profond soupir et abattit avec rapidité et une
force incroyable son poing sur le nez de l’inconnu qui fut séché en un instant.
— Court…, très court comme échange,
commenta Kann.
— Court, mais efficace, reprit Hélie.
C’est une leçon de diplomatie dont je me souviendrai.
Louna avait déjà appelé à la rescousse
d’autres êtres de Noria. Il y avait là, au fond d’une salle vide, une vingtaine
de gamins âgés de trois à dix ans, recroquevillés sur eux-mêmes. Ils avaient
l’air terriblement effrayés et avaient dans le regard quelque chose
d’inquiétant, quelque chose qui ressemblait fortement à du désespoir…
— Il faut emmener ces enfants,
dépêchons-nous. Faisons-les sortir et menons-les sur les vaisseaux qui partent
vers la ceinture d’Orion. Allons ! Hâtons-nous et n’oublions pas cet
imbécile. Louna désignait l’homme qui était toujours sans connaissance. C’est à
ce moment-là qu’un autre grondement souterrain encore plus puissant se fit
entendre.
— Et de deux, fit Kann qui ressortait
déjà du temple avec des enfants accrochés à sa ceinture et deux autres sous les
bras.
— Vite,
vite, dépêchons… disait Louna tout en courant vers les vaisseaux qui avaient
répondu à l’appel de service que le grand Annanda avait lancé. Un faisceau de
lumière les engloba tous et ils se retrouvèrent au pied de la petite flotte de
secours. Un nuage de papillons gros comme une main d’homme les survola un
instant avant de s’engouffrer dans le vaisseau de gloire d’Annanda.
Un d’entre eux, semblant s’être
momentanément égaré, tournoya autour de Louna. Il était magnifique, comme tous
ses frères. Il était d’un jaune radieux, avec des taches noires sur les ailes
qui faisaient penser à des yeux.
— Un
ami à vous ? demanda Hélie.
— Pas que je sache, bien que toute la
création à l’origine n’était remplie que d’amis et d’âmes fraternelles. Mon
cœur me dit qu’il s’agit en fait d’un groupe de collaborateurs de dame Nature
et de Mira.
— Eh bien ! fit Kann, on dirait que
nous sommes limites, mais dans les temps quand même.
— Notre cargaison est chargée, disait
Cylanoé qui revenait vers le trio.
— J’ignorais que l’on en avait une, fit
Kann.
— Des graines… des semences… un
potentiel tout en puissance et non encore révélé, voilà ce que nous emportons
vers Gaya et quelques espèces de « Dormeuses ». Cette nouvelle
planète aura besoin de leur service un jour, pour permettre à Mère Nature de
s’exprimer aussi sur ce Nouveau Monde.
— Il ne nous manque que Mira, fit Louna.
Ah, la voilà.
La vieille dame avançait vers eux d’un
pas assuré et un sourire énigmatique sur les lèvres.
— Enfin ! Il nous faut partir sans
délai. Filons vers l’Antarion… Puis soudain, elle se tut pour mieux écouter.
Qu'est-ce que ces voix ? demanda Louna qui pour une fois ne semblait pas
détenir de réponse.
— Ce sont les voix de ceux qui restent
pour accompagner le corps physique de Noria. Des chants vont s’élever ainsi de
plus en plus fort pour couvrir la peur et la tristesse qui pourraient submerger
notre Terre et les êtres qui ne peuvent partir ou ascensionner vers une autre
dimension. Nous le ferons dans l’intérêt de cet univers. Tout a son importance.
Chaque geste, chaque acte, aussi minimes soient-ils, peuvent avoir un impact
jusque dans les étoiles. Nous devons adoucir cette vibration de peine et de
sentiment de fin de monde pour les planètes sœurs de Noria qui vont en
ressentir dans leur cœur tous les méfaits.
— Mira ! Pourquoi dis-tu
« nous » ? demanda Louna dont le cœur s’était mis à battre à se
rompre. Une tache lumineuse au milieu de sa poitrine commençait à se former. Sa
lueur ne cessait d’augmenter, jusqu’à ce que cette petite sphère se détache du
cœur de Louna et, comme un petit soleil, vienne se poser sur celui de Mira où
elle disparut.
— Tu as repris l’énergie qui nous
permettait de fusionner ! Pourquoi Mira ?
— Parce que cela ne sera plus
nécessaire. Tu l’as compris, fille de Ya. Mon voyage s’arrête ici. Je suis
venue accomplir cela, pour ce monde, pour ce vaisseau-planète sur lequel j’ai
tant et tant servi. N’oublie pas notre dernière discussion. Je sais que tu peux
comprendre.
— Elle peut, fit Kann, mais moi j’ai du
mal. Cependant, je respecte votre volonté, Mira et… vous me manquerez. Kann ne
comprenait pas ce qui se passait en lui. Il ne voulait surtout pas montrer quoi
que ce soit. Mais un froid intense l’envahissait. Une peur aveugle et muette
surgissait des tréfonds de son être. Son cœur se ferma encore plus lorsqu’il
constata que Louna vivait l’événement avec calme et détachement, ce qu’elle
était en réalité bien loin de ressentir.
— Vous nous manquerez Mira, fit Hélie en
serrant la vieille dame dans ses bras.
Comme beaucoup d’autres, Mira était à
présent entourée d’un grand halo de lumière blanche qui descendait jusqu’à ses
pieds, personne ne comprenait ce que cela signifiait, sauf peut-être Cylanoé
qui parlait tout bas de sa voix chaude en elfique à la dame de son cœur, puis
dans la langue des êtres bleus.
— Mirina, Adéla : lumière et
vérité, telle est notre devise. Leyda : la compassion, tel est notre cœur.
Bon voyage à vous, chère âme. Nous ne vous oublierons jamais.
— J’ai fait quelque chose pour vous,
vieil homme bavard et impertinent. Mira sortit d’une des poches de sa longue
robe, un des petits Cristaux chantants de Cylanoé. Sur votre bâton, il
trouvera sa place. Oh ! Ne vous réjouissez pas, je n’ai contourné aucune
loi. C’est avec l’accord de l’âme Mère de cette planète et celui du cœur de ce
cristal que j’ai agi. Je l’ai accordé à la lumière éternelle des étincelles de
vies de Noria. Ainsi, quelles que soient les profondeurs et les ténèbres où
vous serez, la lumière de Noria sera avec vous et vous en aurez grand
besoin.
Cylanoé sans rien dire l’embrassa sur le
front.
Gronnnm ! fit le cœur de la terre
de Noria. Cette fois, c’était la fin. Les chants s’intensifiaient. Les voix
s’élevaient comme un seul battement de cœur. Douce dans un premier temps et
prenant par la suite de plus en plus d’ampleur. C’étaient les voix
des Êtres arbres, de la rivière, des elfes, et des gardiens… Tous
formaient une chaîne de cœurs à perte de vue. La brume silencieuse venait
chercher les dernières âmes vouées à passer de l’autre côté du silence, vers ce
plan qui ne pouvait être atteint par des yeux ordinaires. Les discours étaient
superflus. Tous les vaisseaux quittaient leur piste d’atterrissage de fortune,
chacun s’envolait vers sa destination.
N' Nak quant à lui avait déjà pris la
fuite vers une destination inconnue. Le grand Annanda serait le dernier à
partir, car il accompagnait lui aussi à sa façon ceux qui avaient choisi de
rester. Pour la première fois, il apparut, devant son vaisseau, immense et
rayonnant de lumière. Son corps, qui ressemblait plus à une silhouette,
flottait à une bonne hauteur. Personne ne pouvait distinguer de séparation
entre le vaisseau de gloire et le grand Maître. C’était comme s’ils faisaient
l’un et l’autre, partie de la même lumière. Par sa nature, il ne craignait
rien. Ce n’était pas le cas de l’Antarion, ils n’avaient plus le temps
d’attendre. Mira avait pris une dernière fois les mains de Louna dans les
siennes.
— Ne sois pas triste, sois forte. Tu
viendras me chercher et nous nous reverrons. Même si cela doit être après bien
des éons.
— Je ne comprends pas, fit la femme
bleue désespérée.
— Le moment venu, tu comprendras… tu
comprendras. Inscris seulement cela dans ta mémoire. Quand l’instant zéro sera
là…, tu sauras. Une dernière chose… je te confie Si La. Elle sait, et elle aura
un peu de mal au début.
Louna acquiesça et laissant tomber les
mains de Mira, elle se mit en marche vers les autres, les yeux vides.
L’Antarion partit lui aussi, emportant dans
son antre des êtres bien silencieux, seul le chant qui montait de Noria se fit
entendre encore un certain temps, quand cela ne fut plus possible à cause de la
distance, il continua de se faire entendre dans le cœur des hommes de
l’Antarion et de tous les autres vaisseaux. Lorsque la planète se transforma en
une grande lueur qui éclata comme mille soleils, la vibration du choeur des
voix y survécut comme une onde sur l’eau, encore quelques instants, puis ce fut
le silence.
Le vaisseau noir de N' Nak et du traître
Moxa avait filé dans la direction de Gaya. Ils avaient perdu la face et l’arme
mise au point par leurs scientifiques. Mais ils ne renonçaient pas.
« Il y a toujours ce cristal de
force, avait dit le Raptus. Et si tu ne mens pas, Moxa, si sa puissance est
telle que tu le dis, il nous servira mieux encore que le précédent. »
— Mais, on ne l’a pas encore trouvé,
soupira Moxa qui voyait ses rêves de puissance s’éloigner, d’autant qu’il
n’était plus très sûr de ce qu’il avait avancé au sujet du cristal. Il se
garderait bien de le dire… sa vie tenait à si peu.
— Inutile de perdre notre temps. Nous
savons où ils doivent aller n'est-ce pas ? Alors, cueillons-les tous sur
cette nouvelle Terre. Ils auront ce qui nous intéresse avec eux. Mais il faut
faire vite. Cette planète a été investie par ces pestilentiels Reptiles de
Drac.
— Ne sont-ils pas nos alliés ?
— Tant que le vent n’aura pas
tourné ! L’ordre nouveau ne sera pas pour ce soir, il sera pour demain.
Comme l’avait promis le Seigneur
Annanda, l’Antarion bénéficia d’un coup de pouce pour rejoindre au plus vite la
planète Gaya. Comme par enchantement, le vaisseau à un moment donné fut
enveloppé d’une lumière blanche et lorsqu’elle s’en alla, il avait fait un bond
dans l’espace-temps et se retrouvait sur la bonne trajectoire. Gaya était
visible sur les tableaux de bord. Le dénouement était proche, mais les cœurs
malgré cela n’étaient pas à la fête.
Si La restait accrochée au bras du
fauteuil de Kann, comme si elle trouvait en étant proche de lui, un peu de
réconfort. Tous avaient de la peine, mais restaient confiants et sereins au
sujet de la décision de Mira. La vieille dame leur manquait certes, mais
en son honneur, ils essayaient de garder la tête haute et d’être à la mesure de
ce qu’elle était. Tous ? Peut-être pas ! Kann cachait dans son cœur
un nœud qui ne tarderait pas à éclater. Son malaise était grand. Il sentait une
boule dans son estomac, et une sorte de montée des eaux à l’intérieur de son
corps, qui ne portait pas de nom. C’était une sorte de mal sournois et
indéfinissable. Il avait beau essayer de relativiser les choses, de vouloir
calmer la colère qui naissait, rien n’y faisait. C’était au-delà de lui, de sa
conscience rationnelle. Il avait besoin d’un exutoire, et celui-ci était tout
trouvé. Il n’attendait plus que le moment propice où il pourrait lâcher sa
bombe.
— Eh bien ! Je crois que nous
arriverons à temps. Nous sommes attendus sur Gaya. L’Antarion devrait bientôt
déclencher un signal d’approche qui avertira nos contacts au sol, fit Louna
pour combler un peu le silence. Nous leur confierons le cristal de force
et nous aurons accompli notre mission. Je crois que nous pouvons être heureux
de cela.
— Heureux de cela ! s’insurgea
Kann. Alors, c’est tout ce qui compte pour vous… votre fichue mission ?
— Mais, enfin Kann, vous comprenez bien
ce que j’ai voulu dire ?
— Oh ! c’est très clair ! On
peut mourir sous vos yeux, cela n’a pas d’importance du moment que vous aurez
les lauriers pour avoir accompli votre mission. Il lâcha ce dernier mot avec
tout le mépris qu’il put.
— Allons Kann, tais-toi ! intervint
sans résultat Hélie.
Cylanoé commençait à froncer les
sourcils, s’interrogeant sur ce qui était en train de se passer. La douce Si La
était incapable de toute réaction, tellement la compréhension de son héros lui
échappait.
— Regardez-vous Louna Blou Bey !
Vous êtes sans cœur. Vous n’avez rien d’humain. Vous êtes incapable de verser
une larme pour votre amie qui est restée pour je ne sais quelle raison, sur
cette planète qui a maintenant rejoint la poussière interstellaire. Vous vous
croyez parfaite, vous pensez être au-dessus de tout le monde, mais
regardez-vous ? Qu’avez-vous donc d’extraordinaire à part votre peau
bleue ? Rien ! Sinon, votre froideur et votre incapacité à
aimer !
Kann finit par se taire. Un froid
glacial venait de s’abattre sur l’Antarion. Personne n’osait dire un mot.
Cylanoé essayait de contenir ce qu’il avait sur le cœur afin de ne pas
desservir l’esprit qui l’animait. Quant aux autres, leur état était trop confus
pour qu’ils puissent réagir.
Kann se sentait vide à présent. Cela
avait été plus fort que lui et maintenant ce n’était plus de la colère qu’il
ressentait, mais un serrement dans la poitrine qui annonçait une grande peur,
celle d’avoir commis l’irréparable. Il était conscient de l’avoir fait
délibérément et cela augmentait sa souffrance.
Louna quitta la pièce, le regard
lointain. Quelque chose l’avait quittée, peut-être un peu de vie, ou de cette
énergie qui faisait d’elle ce qu’elle était.
Personne ne prit la peine de la suivre,
ils restaient tous dans la salle de contrôle de l’Antarion. Cette partie du
vaisseau leur avait servi de nid et de lieu de vie depuis des mois, aujourd’hui
leurs pieds semblaient y être cloués par une force insondable. Qu’auraient-ils
pu bien dire à Louna… après ça ?
— Vous n’êtes qu’un imbécile, jeune
Kann, lâcha enfin Cylanoé.
— Je n’enlève rien de ce que j’ai dit,
fit Kann, d’un ton mal assuré.
— Bien sûr que non ! Quitte à être
stupide, autant l’être jusqu’au bout, n'est-ce pas ?
— Mais enfin ! Qu’est-ce qui t’a
pris ?
— Je ne sais pas… envie de dire ce que
j’avais sur le cœur, la vérité !
— Le mensonge que vous avez sur le
cœur, voulez-vous dire ! Quand cesserez-vous de vous mentir à
vous-même ? « Verser une larme », je n’ai jamais rien entendu de
plus stupide. Comme si vous ne saviez pas que Louna n’a jamais eu de larmes
pour pleurer, tout comme son peuple. Comme si vous ne saviez pas que le chagrin
ne fait pas partie de son monde, que c’est une émotion inconnue de lui. Ce que
vous lui reprochez c’est de ne pas être comme vous, Kann, de ne pas être
constituée comme les hommes d’en bas. Vous n’arrivez pas à accepter cette
différence parce que vous avez peur qu’elle vous sépare d’elle, alors vous avez
préféré le faire vous-même. Cette différence n’existe que dans votre tête. Si
vous étiez plus proche de votre propre cœur, vous le sauriez. C’est vous qui
n’avez pas de cœur, Kann, parce que vous l’avez mis sous terre, il y a déjà
fort longtemps. Vous avez peur d’aimer et vous ne vous sentez pas à la hauteur
d’un être qui possède l’amour inconditionnel dans le sien. Vous avez aussi peur
de la voir disparaître, comme vous avez vu disparaître Mira. Et pire que tout,
vous pensez que si Louna était un peu plus comme vous, vous pourriez l’aimer et
être aimé d’elle. Pourquoi ne pas vous hisser à son niveau si vous pensez que
vous êtes si différents et que cela a tant d’importance ? Vous l’aimez,
Kann ! Mais vous êtes incapable de le comprendre, parce que cet amour ne
ressemble à rien de ce que vous croyez connaître. Vous êtes votre pire ennemi.
— C’est tout, demanda Kann à voix
basse ?
— Oui, j’ai fini… pour le moment.
— Que
se passe-t-il, Cylanoé ? demanda Hélie dont l’âme pressentait le pire.
L’espace d’un instant, leur cœur cessa
de battre. Un petit soleil lumineux de la taille d’un cœur venait de faire son
apparition. Il venait du couloir du fond et se dirigeait tout droit vers le
cœur de Cylanoé.
Celui-ci ferma les yeux, ce qu’il
redoutait venait d’arriver. Louna lui avait rendu le cœur de lumière qui leur
permettait de fusionner. Tous comprirent ce que cela signifiait.
— Je ne comprends pas pourquoi elle a
fait cela, fit Kann !
— Et tu es bien le seul, fit Hélie. Au
fur et à mesure que nous avons pénétré dans cette partie de l’univers, Louna
perdait de sa force. Elle luttait de plus en plus pour ne pas être submergée
par les vibrations négatives que nous connaissons tous ici ; la colère, la
peur, le chagrin. Elle quittait de plus en plus son état originel et le cachait
de son mieux, par amour pour nous les hommes d’en bas. La force de l’esprit qui
lui restait s’est évanouie en présence de tes mots. Ai-je vu juste
Cylanoé ?
— Tu as regardé avec ton cœur Hélie, et
tu as vu juste.
— Vous le tutoyez maintenant ? Bon,
après tout, je l’ai bien mérité…
— Arrêtez cela ! Vous êtes plus
intelligent que vous ne voulez nous le faire croire. Laissez donc votre ego se
reposer. Et pourquoi ne lui diriez-vous pas aussi que votre cœur reprend enfin
les rênes de votre vie ? Nous pourrions alors nous voir, comme avec Hélie,
au-delà de nos corps physiques.
Louna était allongée sur son lit, dans
sa petite cabine. Elle avait l’air si serein. Ses quatre compagnons étaient
autour d’elle. Kann ne savait plus comment faire.
— Pour quoi ne pas demander à Si La?
— Inutile, il n’y a rien à faire. Elle
seule peut décider. Tout ce que nous pouvons faire, c’est lui envoyer de
l’amour, afin qu’elle puisse trouver la voie la plus juste pour elle et pour
tous.
Si La avait pris position sur le bras
d’Hélie, non pas qu’elle en voulut à Kann, mais bien parce que celui-ci était
encore dans le déni de lui-même et qu’elle avait du mal à le supporter. Sa
tristesse était grande. Elle aussi avait succombé à la vibration involutive de
cet univers. Les gènes de Louna qui avaient été mélangés à son ADN ne l’avaient
pas sauvée de cela. Pourtant, une chose était sûre, elle voulait garder espoir.
Sa famille angélique, qui était aussi celle de sa bien-aimée amie bleue, était
présente, elle le sentait au plus profond d’elle-même. Alors, son cœur espérait
encore un peu. La petite plante eut une intuition, elle en fit part à Cylanoé.
Le vieil homme capta les messages que lui envoyait désespérément Si La.
— Tu crois, demanda-t-il ? Bien, de
toute façon cela ne pourra faire de mal.
Il s’éclipsa un moment et revint avec
dans la main son bâton, celui qu’il avait trouvé sur Tolt. Aujourd’hui,
celui-ci était paré de la lumière de Noria qui brillait à travers le cristal
musicien.
— Vous croyez que ceci va la faire
revenir, demanda Kann ?
— Non ! Mais, je crois, comme Si La
que cela peut lui être utile, là où elle se trouve.
Cylanoé prononça quelques mots
inaudibles et le cristal répandit sa lumière dans la pièce et peut-être au-delà
du monde tangible, comme il l’espérait.
Kann sortit de la chambre, impuissant,
ne sachant comment réparer son erreur.
Il y avait une sorte de brume tout autour
d’elle. Louna ne savait rien du lieu où elle se trouvait, mais elle se
souvenait d’avoir quitté le monde des vivants. Son cœur était sombre et lourd.
Elle comprit aussitôt que cette brume était due à cela. Elle pouvait distinguer
deux couloirs autour d’elle, un qui descendait et un autre qui semblait vouloir
monter. Elle était lasse, si lasse. Sa seule envie était de disparaître, de se
fondre dans la masse, de ne plus exister et de se couper de tout. Aussitôt que
cette pensée prit forme dans son esprit, elle se sentit inexorablement attirée
par le couloir du bas. Elle se mit à descendre dans une sorte de spirale qui
semblait vouloir l’avaler. Elle eut un sursaut de peur face à ce qui
l’attendait, mais son sentiment de culpabilité l’emportait sur tout le reste et
elle commença à oublier d’où elle venait et qui elle était. Elle s’abandonna à
la faciliter du renoncement, à l’oubli. Venant du fond de la spirale elle
entendait des voix, des soupirs et des râles. Ces murmures étaient terrifiants
et obsédants. Il faisait nuit et cette fois tout lui semblait irrémédiable.
C’est alors qu’au-dessus de sa tête en haut du couloir, apparut cette lumière.
Elle était si douce, si consolatrice. La femme qui était en train de descendre
vers l’oubli se souvint alors de cette douceur comme étant quelque chose de
chaud, d’accueillant et de connu. La lumière de Noria. Plus elle se focalisait
sur le rayon lumineux, plus elle remontait la spirale sans en avoir conscience.
Quand elle fut assez près de ce rayonnement, un autre type de lumière apparut.
Elle put entendre alors des voix, une musique et sentir le parfum le plus
délicat qu’elle n’eût jamais senti. La lumière devint de plus en plus intense
et Louna, alors, se souvint. Elle revit les jardins de Mirinadéla, la forêt du
Billann, les arbres pourpres. Pourtant, l’endroit où elle se trouvait
maintenant était encore bien plus magnifique. Les fleurs géantes couvraient les
sentiers, tout n’était que musique et chants angéliques. Elle reconnut
d’ailleurs quelques mélodies créées par son ami Cylanoé. Cylanoé ! Son
visage, elle le revoyait à présent, ses souvenirs revenaient. Elle se rappelait
aussi pourquoi elle était là.
Elle avança, d’abord hésitante, puis
avec assurance, sur de grandes marches arrondies faites d’une matière
transparente. Chaque marche était suspendue dans les airs. En posant le pied
pour les gravir, à chaque fois, un son se faisait entendre, subtil et léger. Le
parfum des fleurs était un délice. Chaque corolle se tournait vers elle à son
passage, comme pour la saluer. Le ciel semblait être bleu pailleté d’or. Des
anges vaquaient à leurs occupations tandis qu’au loin elle pouvait voir des
êtres se mouvoir avec grâce et beauté. Tout n’était qu’amour et conscience. En
haut des marches qui menaient à une sorte de palier circulaire ouvert aux
quatre vents, il y avait un trône en or, incrusté de rubis, d’émeraudes et de
diamants. Un être androgyne se tenait derrière lui. Il semblait attendre Louna.
Son regard sembla à celle-ci familier, pourtant, elle en était sûre, elle ne
l’avait jamais rencontré dans son univers.
— Suis-je dans une sorte de paradis,
demanda timidement Louna ?
— En quelque sorte, répondit l’Être.
Disons que tu es sur le plan le plus élevé de ta conscience. Comme tu le sais,
il existe un monde pour chaque plan de conscience. Chaque être, à travers la
naissance, quitte un de ces plans pour parfaire ses connaissances des mondes
matériels, des univers créés, puis le moment venu retourne à l’endroit d’où il
est parti. Quelques fois, des êtres ont gagné quelques galons et rejoignent
après leur mort un monde supérieur. De temps à autre, ce n’est pas le cas. Toi,
tu appartiens déjà à ce monde-ci. La lumière t’a guidée, mais tu as bien failli
te perdre. Ce n’est pas un blâme. Ce que j’essaie de te dire, c’est que si tu
le souhaites, tu peux rester ici. Regarde ce trône, c’est le tien.
— Qui aurait envie de quitter un tel
endroit, demanda Louna ?
— Ceux qui ont le service dans le cœur.
Tu as mérité de rester ici, mais est-ce vraiment ce que tu veux ?
— Vous êtes moi, n'est-ce pas ?
Vous représentez la plus haute partie de ma conscience… vous êtes l’être le
plus lumineux que je puisse être ? Qui d’autre pourrait connaître le doute
qui s’est abattu sur moi, avant que je quitte mon corps ?
—
Je vais te laisser quelques secondes profiter d’un peu de répit et nous
reprendrons après cette conversation. Profite de cet instant pour enchanter ton
âme de cette musique.
— Je connais certains de ces airs,
Cylanoé en a écrit quelques-uns, à moins que ce ne soit les anges qui les lui
ont inspirés ?
— Cylanoé est un charmant compositeur.
Il sait capter les notes des vents, le son des éléments et en faire une
symphonie. Le seul véritable créateur, c’est la partie de l’Esprit des Grands Univers
qui est en chacun de nous. Les hommes auront besoin de musique, parce qu’un
jour, ils oublieront celle de la nature ; des éléments ; des
couleurs. Il faudra bien d’une façon ou d’une autre les rapprocher de leurs
âmes. Tout ce qui a été envoyé dans les hautes sphères, tout ce qui a pris
forme dans les hautes sphères, sera un jour capté par des esprits ouverts et
cela sera un grand bénéfice pour tous.
L’Être avait disparu, laissant Louna
seule devant le fauteuil en or, si lumineux, et la vision idyllique de ce
paradis retrouvé.
S’asseoir sur le trône était quelque
chose de bien tentant, mais la femme bleue comprenait aussi que si elle le
faisait, elle ne pourrait plus retourner vers le monde et la vie qu’elle venait
de quitter.
À quelques pas de là étaient apparues
d’étranges bulles transparentes. Elles sortaient de l’invisible, prenaient
forme, restaient un moment suspendues dans les airs, puis disparaissaient.
Intriguée, Louna s’en approcha. C’est ainsi qu’elle put voir qu’à l’intérieur
de chaque sphère se déroulait un événement de sa vie.
En se penchant sur celle qui venait de
faire son apparition, elle vit son père Vaillant Blou Bey, d’abord arpentant la
forêt du Billann en compagnie de sa petite fille, puis l’image se focalisa sur
un discours fait devant les nations des trois planètes sœurs, la Terre de Ya,
Yod et Al. Quelques bribes lui
parvenaient encore aux oreilles. Les mots de paix et d’amour de son père
auraient pu survivre des millénaires dans l’espace et dans les cœurs, tellement
ils étaient purs et empreints de sagesse. D’autres bulles montrèrent à tour de
rôle différents moments clés de la vie de Louna. Puis il y eut celle où elle
put voir son cauchemar prendre à nouveau forme sous ses yeux. Elle revit encore
une fois : les monts de Drac et la fin tragique des deux âmes soeurs.
— D’accord ! fit Louna. Vous m’avez
montré, chères bulles, le passé, et l’instant où tout a basculé… cela me donne
envie de rester ici et d’être plus proche de ce que j’ai connu de plus beau.
Avez-vous autre chose à me montrer ?
Une sphère transparente prit forme sous
les yeux de la jeune femme qui y plongea aussitôt son regard. Elle vit alors
Cylanoé, avec son bâton orné du petit cristal qui méditait auprès de son corps
sans vie. Il y avait là aussi Hélie lui tenant la main et la douce Si La. Elle
était accrochée à l’épaule de l’Affrasien et semblait d’une tristesse
épouvantable. « Pauvre plante, pauvre partie de moi. Elle a l’air aussi désespéré
que ce que j’ai pu l’être, soupira Louna ». Elle s’interrogea sur Kann,
aussitôt, l’image se focalisa sur celui-ci. Il ruminait tout seul devant la
Voie lactée que l’on pouvait discerner au travers des panneaux centraux de la
plateforme de commande. Il semblait énervé. Il se cognait le front contre les
vitres ou la paroi en fonction de l’endroit où ses pas l’arrêtaient. Le poste
de commande n’était pas suffisamment grand pour qu’il ait une plus vaste
liberté de mouvement, alors, il se contentait de marcher de long en large devant
les mêmes panneaux. Il râlait dans un jargon que Louna avait du mal à
comprendre. Il parlait à quelqu'un, un être invisible. Tantôt, il le suppliait,
à d’autres moments, il se fâchait fortement contre lui. Il proférait des
menaces, puis il finit par se calmer.
— OK ! Tu as gagné, disait-il.
Il semblait avoir mis un peu d’ordre
dans ses idées. Il regardait en l’air comme si son invisible interlocuteur se
tenait quelque part devant lui, dans l’espace.
— Je n’ai jamais cru en toi… en fait, je
n’ai jamais voulu croire en toi. Ta force et ta puissance, je les ai senties
bien des fois, mais je préférais croire qu’elles venaient de moi. Je ne voulais
rien te devoir. Depuis que j’ai perdu les miens, je ne voulais plus rien devoir
à personne. Je n’ai jamais été doué pour parler et si tu es vraiment le
créateur de toutes choses, tu dois bien le savoir ! Je ne suis qu’un
pauvre imbécile. Kann hocha la tête en signe de fatalisme. Ce n’est pas ELLE
qui aurait dû partir et tu le sais. Sans elle, même si on réussit, ce qui n’est
pas dit, cette mission n’aura plus la même valeur. Kann se mit à rire… Ce vieux
fou de Cylanoé a raison. Je suis courageux dans les batailles, mais j’ai peur
d’affronter ce qui se passe à l’intérieur de moi. Plutôt que de voir mes
faiblesses, je préfère en trouver chez les autres.
Alors ! Oui ! C’est
vrai que je ne suis pas parfait, que ce monde n’est pas parfait… Mais si tu
aimes ce qui est juste, fit-il en haussant le ton, fais en sorte qu’elle
revienne… si cela est encore possible. On n’y arrivera pas sans elle ! Je
ne sais pas si je suis capable de dépasser toutes ces barrières qui me font
avoir peur de la différence, de nos différences. Mais si tu peux lui parler…,
dis-lui que je regrette, que je ne suis que ce que je suis. Dis-lui que si elle
revient, je ferai de mon mieux pour…, les mots se perdirent au fond de sa
gorge.
Oh ! Finalement, ne lui dis rien de
tout ça. Je suis là, à marchander avec toi, comme j’aurais pu le faire avec
elle. Fais ce qui est le mieux pour Louna. Qu’elle suive ce que lui dit son
cœur ! Ce dont je suis incapable… ce dont je croyais être incapable.
Quand Kann eut fini de parler, la bulle
disparut.
Louna venait de comprendre que ce qu’on
venait de lui montrer, c’était le passé avec ce qu’il avait été. Le moment
charnière où son destin avait basculé et le présent. Sans cet instant, quelle
que fût sa nature, ce présent n’aurait pu être. Tout avait un sens et à
l’intérieur d’elle-même, rien n’avait changé. Elle voyait au-delà des mots la
beauté des choses, des êtres, de la vie. Quelle que soit la tournure que
prenaient les événements, sa nature profonde n’avait pas changé. Elle était
toujours la même Louna de ses jeunes années. Si elle pouvait voir la beauté
autour d’elle, cette beauté était toujours en elle. Et c’était ce qui faisait
sa force. Où qu’elle soit, elle emmenait cette lumière. Après les derniers mots
de Kann, elle comprit qu’il y avait encore de l’espoir dans le cœur des hommes,
que ces hommes d’en bas n’avaient pas tout perdu. Que la flamme de la vie
brûlait encore en eux ! Et que c’était vers eux, et celui qui lui avait
fait tant de mal, que son cœur se tournait.
Cela faisait presque une demi-heure que
Louna avait quitté son corps quand quelque chose fit ouvrir les yeux à Cylanoé.
La lumière de Noria venait de se renforcer toute seule. Elle rayonnait de sa
plus forte chaleur, comme une balise, un appel, un guide bienveillant. Le cœur
de lumière de Louna s’éveilla à son tour. À travers son vêtement, il brillait
comme un petit soleil. Si La s’évanouit devant tant de bonheur, tandis que le
corps de la femme bleue était secoué de spasmes. Ses poumons se remplirent
d’air et cela fut douloureux. Elle toussa à s’en rompre les côtes, avant
d’ouvrir les yeux. Kann qui avait senti l’agitation, plus qu’il ne l’avait
entendue, s’était précipité dans la cellule. Il n’eut aucune retenue et se jeta
au cou de Louna qui revenait à elle. Il la serra si fort contre lui, que tous
crurent qu’il allait l’étouffer.
—
Eh bien ! fit Cylanoé. Avec vous, jeune Kann, c’est tout ou rien !
— Désolé ! Je suis seulement
content. Il souriait et était heureux. Il était sûr qu’elle lui avait pardonné.
— Vous pouvez, fit Louna. Vous avez
enfin dit deux mots sensés. Ah ! Et puis, la prochaine fois, que vous
vous adresserez à l’Esprit des grands Univers, inutile de crier. Il n’est pas
sourd.
— Bon sang ! Il vous a tout
dit ? Tout ? Vraiment tout ? Kann n’en revenait pas, un tantinet
inquiet, essayant de se rappeler ses moindres paroles.
Louna lui sourit d’un air entendu et se
garda bien de lui donner des détails. Elle le laisserait un peu mariner,
histoire d’apprécier encore un peu son air dubitatif et enfantin. Il n’avait
pas fini de se poser des questions.
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